J’enfile une jupe, des collants.
Non, c’est trop court pour rentrer toute seule à 2 du mat’.
Je la fais glisser le long de mes cuisses, je retire mes collants, j’attrape un jean à la volée et je le passe rapidement. Il me serre le bide. Tant pis, je suis en retard, et au moins ils penseront pas que c’est open-bar tous ces crevards.
Mes écouteurs vissés sur les oreilles, le son assez fort pour percevoir la musique, assez bas pour entendre ce qui se passe dans la rue. Le dosage est précis, il est question de survie.
15 minutes, c’est le temps qu’il me faut pour rejoindre le bar.
20h, ça craint pas trop. Pas encore.
Je presse le pas en espérant réduire mon temps de marche. Pour faire passer tout ça en douceur, les Clash « Rock the Casbah » dans mes oreilles. J’entends un bruit, je ne sais pas d’où il vient. Je tourne la tête dans tous les sens. Un mec surgit de nulle part, il me fait signe de retirer mes écouteurs. J’hésite. J’ai pas envie. Du tout. Qu’est-ce qu’il me veut celui-là, je ne le connais pas ! J’abdique et retire un écouteur.
– Quoi ?
– Vous êtes charmante !
Dans ma tête, ça se bouscule.
Ah ouais ? Charmante ? Qu’est-ce que ça peut me foutre ? – Est-ce qu’il va me frapper ? Qu’est-ce que j’en ai à carrer d’être charmante ? Non, soyons précis, que toi, tu me trouves charmante. – Est-ce qu’il va m’agresser, me violer ? Qu’est-ce que ton avis m’apporte, tu crois vraiment qu’il m’importe ? Et puis charmante, ça ne veut rien dire. Tu ne me connais pas, je ne te connais pas, on ne se connait pas. Et ça restera comme ça.
Mais aucun son ne se risque à sortir. Au lieu de ça, je jette des regards autour de moi pour évaluer le danger potentiel que peut représenter le fait d’être à cet instant précis dans la rue avec cet étranger ; mais aussi celui de l’envoyer chier et de l’énerver. Aucun bar, magasin ou tout autre endroit où me réfugier en vue. Personne dans la rue pour me défendre, et puis de toutes façons, on ne peut pas vraiment compter là-dessus. C’est un sacré coup de poker.
Je murmure un « merci ». Ce merci, je l’arrache au plus profond de ma gorge. Il m’écorche la gueule. Vraiment. C’est le merci de la survie. Mais il ne suffit pas. Ça ne suffit jamais. Il s’énerve.
– C’est tout ? Juste merci ? Tu te prends pour qui ?
Cette fois, ça se bouscule dans mes jambes. Je les prends à mon cou. Je m’éloigne à toute vitesse mais je l’entends hurler.
– Salope, vous êtes toutes des salopes. Des putes, des grosses putes. Vous méritez …
La fin m’échappe, je suis enfin assez loin. Je la devine facilement, pas besoin d’avoir fait Sciences Po. Je commence à ralentir le pas, j’essaie de reprendre mon souffle. Une voiture me dépasse à une vitesse folle et me klaxonne. Je fais un bond. J’entends les mecs à bord exploser de rire.
Je tremble de partout. Je suis en sueur. Ecarlate. Essoufflée. J’ai envie de pleurer. Je craque. Je hurle.
– Bande de connards, ça vous fait marrer de nous faire peur ?
Ils étaient déjà loin. Aussi loin que me semble être mon point d’arrivée, alors que mon téléphone me l’indique à 100 mètres. Ils me semblent interminables, ces 100 mètres. Inatteignables. Le pire dans tout ça, c’est qu’il faudra remettre ça dans quelques heures. Et puis demain. Et après-demain. C’est sans fin.